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LE LANGAGE DU CORPS


Le corps est métaphore,
il dit tout haut ce que nous pensons tout bas

Groddeck, Le livre du ça

Toute approche du corps suppose que l'on s'intéresse à son histoire.

Corps et courants de pensée

Les philosophes présocratiques considèrent le monde comme un corps immense correspondant au concept de nature, à la « psysis ». Ils attribuent l'origine du monde des choses de la vie à des entités insérées dans la nature comme l'eau, le feu. Le corps représente le triomphe absolu de l'apparence : on peut imaginer un corps idéal, intriqué dans un monde qui transcende la réalité.

Le corps idéal qui ne doit pas mourir : il ne serait rien d'autre qu'une aspiration que l'on retrouve dans la religion. Le christianisme, par exemple, établit une différence entre un corps sans souillure du paradis terrestre, un corps que le péché n'a pas encore contaminé, le corps ressuscité, récompense des croyants qui reprennent possession de ce corps transfiguré et enfin, le corps réel, porteur d'erreurs et de mort.

Descartes, lui, sépare le corps de la pensée et vient à concevoir deux substances co-existantes qui s'influencent réciproquement, bien qu'elles n'aient rien en commun. Le corps ne serait jamais « pensée ». La pensée ne sera jamais « matière ».

Corps et phisolophie

Schopenhauer, plus tard, pense, en revanche, qu'il est possible d'imaginer ce corps comme porteur du désir de vie, de plaisir qui constitue une nouvelle tromperie de l'être humain.

Pour Kant, un corps perçu comme une possible entité globale est inconcevable.
La philosophie idéaliste, surtout chez Hegel, réinsère le corps dans la totalité d'un ensemble où distingué comme matière et comme objet, il n'est qu'un moment du développement de l'esprit.

Dans le contexte de la philosophie contemporaine, avec l'existentialisme et la phénoménologie, le corps est vécu comme une entité ayant une histoire qui le rend unique mais, en même temps, incompréhensible en raison de cette singularité individuelle.

Pour les philosophes structuralistes, en revanche, il n'est qu'un ensemble de structures répétitives excluant toute l'histoire personnelle.
Rares sont les philosophes qui, à l'instar de Merleau Ponti, cherchent à l'insérer dans un contexte plus précis et plus spécifique.

Corps et culture

Dans le domaine plus générique de la culture, citons les notions d'éternel retour, de réincarnation qui animent les conceptions orientales du monde nous offrant l'idée d'un corps transitoire, ou encore d'un corps comme moyen de perfectionnement.

Rappelons également les notions très actuelles se rattachant à l'hellénisme dans lequel prédominent la forme, la beauté, l'harmonie où le corps devient centre de l'univers ; il est une richesse, un capital, une carte d'identité.

Pour les orientaux, le centre de la personne serait le ventre, ce ventre porteur de vie chez la femme et dont l'homme conserve la nostalgie éternelle comparée à son ventre masculin stérile.
Toutes ces perspectives symboliques s'intègrent dans une idée collective de corps normal qui devrait être idéal à la fois dans ses dimensions, ses codes fonctionnels et psychiques.

Corps et symbolique

Cependant, ce corps que nous voudrions définitif ne cesse en effet d'évoluer, de se transformer.
Il peut être sain, répondant à des critères de santé et d'équilibre fonctionnel ou tomber malade, être porteur de souffrance. Il peut apparaître comme bon, source d'énergie et de vitalité ou mauvais comme un cheval emballé qu'il nous faut sans cesse maîtriser.

Le corps peut encore être divisé en de nombreux éléments : une partie droite, une partie gauche. Le cerveau gauche serait le siège de la pensée, de la rationalisation, alors que l'hémisphère droit plus artistique, contiendrait notre mémoire émotionnelle.

La symbolique corporelle attache une importance aux parties du corps : le haut et le bas, la notion de sacré (le haut), de honteux (le bas), de corps, objet de notre fierté, source de notre insécurité, corps prêt à collaborer avec l'esprit qui tremble de l'émotion que la peur suscite mais, aussi, qui contient des ressources énergétiques inépuisables.

Le corps peut aussi osciller entre plaisir et douleur, victoire et abandon de la bataille pour la vie. Ce corps qui, à tout moment, nous rend des comptes, devient corps sujet, instrument de changement mais aussi corps objet, structure malade et incarnée par la médecine somatique. Dichotomie bien connue entre corps biologique et corps psychologique.

Sigmund Freud et le moi corporel

Je me suis bien sûr interrogée sur la place du corps chez Sigmund Freud. S'il est en filigrane dans toute la métapsychologie freudienne, les écrits sur le corps sont rares ou énigmatiques comme le passage se situant dans le « Moi ou le Ça » : « Le moi est avant tout un moi corporel, il n'est pas seulement une entité toute en surface mais il est lui-même la projection d'une surface ».Quand S. Freud parle de moi corporel, il se distancie déjà d'une position qui privilégie le concept de schéma corporel avec une connaissance du corps découlant de la perception.

Avec l'image du corps, on passe du corps perçu au corps représenté, donc au monde psychique. Cette médiation avait déjà été tentée par Schilder auparavant. Confronté à certains échecs de la thérapie psychanalytique, Sigmund Freud s'oriente vers l'élaboration de l'espace imaginaire lorsqu'on évacue le corps réel, la règle d'abstinence et l'adoption du divan mettant au repos la motricité au profit de la sensorialité.
La réduction de l'apport visuel (l'analyste se soustrayant au regard de l'analysant) libère l'espace imaginaire.

Corps et symptômes

C'est S.Freud qui découvre que les désirs inavouables, repoussés dans l'inconscient, peuvent donner lieu à des symptômes qui affectent le corps. Lucy R., l'une de ses patientes, souffre d'une rhinite chronique ; de plus, elle hallucine en permanence une odeur de brûlé. Pour lui, cette hallucination est un symptôme contenant la trace d'un désir inconscient. L'explication trouvée, hallucination et rhinite disparaissent.

C'est la découverte de ce type de symptôme hystérique qui a permis à S.Freud d'inventer la psychanalyse. Il constate en effet la disparition des troubles lorsqu'on en trouve la trace, grâce à un travail d'interprétation ne laissant aucune marque, aucune lésion organique. Le corps est donc bien présent au moment où naît la psychanalyse.

Corps réel et corps imaginaire

Ce n'est pas le corps réel qui est en jeu mais un corps imaginaire, inventé par l'hystérique, ce qui explique que les symptômes hystériques disparaissent aussi facilement.

Ainsi, le psychisme et le somatique peuvent s'associer et des pensées refoulées parviennent à trouver une issue dans le corporel. Sigmund Freud a découvert que corps et psyché peuvent servir les mêmes intérêts névrotiques et reconnaît des facteurs psychologiques dans les maladies.
La pulsion (Trieb) est la représentation dans le mental d'une excitation corporelle. Elle a source dans le corps. Doit-on la considérer comme une énergie somatique ou une force psychique ?
Dans « Trois essais sur la sexualité », il décrit un concept limite entre le psychisme et le somatique ; d'un côté, l'esprit n'est que la production du corps, donc un esprit corporel, de l'autre, tout le corps est imbibé de psychisme. A travers la psychanalyse, il a démontré qu'on ne pouvait pas en rester au corps constaté, au corps somatique et a fait comprendre qu'il ne pouvait être question que d'un corps construit. Le corps humain, pour la psychanalyse, est construit par l'inconscient narcissiquement.

Corps et psychanalyse

Même si certains détracteurs de Freud ont dénié ou critiqué la place du corps chez Freud, elle est bien présente. La psychanalyse s'effectue par la parole et le langage où le corps est souvent souffrance, objet de soins, d'expressions, d'interprétations. N'a t-il pas écrit dans le cas Dora : « Celui qui a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre constate que les mortels ne peuvent cacher aucun secret. Celui dont les lèvres se taisent, bavarde du bout des doigts » Le symptôme que l'on interprète est donc bien dans le corps.

Après Sigmund Freud ...

Après S. Freud se situent les mouvements reichiens. Pour Reich, l'énergie fondamentale est bloquée par la répression sexuelle tarissant le libre flux qui finit par se bloquer et par créer des rigidités musculaires. Pour lui, le complexe d'Odipe ne serait pas la cause mais la conséquence de la répression sexuelle. La cuirasse caractérielle du fait de cette rétention d'énergie, réalise un blocage affectif s'exprimant par un manque de contact authentique avec son corps.
La cuirasse musculaire, issue du blocage, serait composée de sept anneaux segmentaires disposés le long du corps ; chaque anneau correspond à certains blocages empêchant les excitations affectives de parcourir librement le corps. Reich a très peu exposé comment libérer l'individu de sa cuirasse et de ses résistances. C'est Alexander Loewen, dans l'analyse bio-énergétique, qui développera plusieurs techniques.

Citons aussi Groddeck, auteur attentif du langage du corps vécu. Quand la souffrance ne peut s'exprimer par la bouche, par les mots, elle va s'exprimer par les maux, par la maladie : « Quand ça ne passe pas par la bouche, il faut bien que ça passe ailleurs ». Pour lui, nos organes parlent. Une douleur abdominale serait une manifestation somatique d'une question restée sans réponse. Cela n'arrive pas par hasard. Ce qui est tu, réprimé, s'exprimera autrement à même le corps, chargé de supporter tous ces silences.

La pensée orientale

La pensée orientale (tibétaine, chinoise ou indienne) propose un modèle dynamique et énergétique du corps. L'oriental considère l'être comme une unité fonctionnelle reliée au cosmos ; sa santé découle de l'équilibre entre deux polarités, le Ying et le Yang. En Chine, les enfants apprennent dès leur plus jeune âge, à l'école, à se mouvoir harmonieusement. Le rééquilibrage énergétique s'effectue essentiellement par l'apprentissage de la respiration. Le yoga met l'accent sur le contrôle et la maîtrise de l'homme sur la matière, son corps, ses émotions, son esprit.
La pensée tantrique est une philosophie issue du bouddhisme. Elle prône une attitude de prise de conscience modifiée et de double conscience à la fois émotionnelle et mentale. Dans le taoïsme, le but est l'harmonie entre l'homme et l'univers turbulent, en vue d'un apaisement suprême.

La sophrologie et le corps

Alfonso Caycédo, l'inventeur de la sophrologie, s'est largement inspiré des techniques orientales pour élaborer, entre autres, sa méthode dynamique en l'adaptant, toutefois, à notre culture occidentale. Il a eu le mérite d'intégrer le corps et de créer, par cette technique, une méthode originale de ré-harmonisation corps-mental à travers son concept de « corps vécu ».

Le corps en souffrance

Nos rapports avec notre corps occidental sont marqués du sceau de l'incertitude et nous créent bien des tourments. Parfois, ce corps prend l'allure d'une véritable prison. Il impose de telles souffrances et se fait l'écho, par ses manifestations sonores, de l'insatisfaction profonde dont nous ne sommes pas toujours conscients. Lorsque le désir fondamental est brimé, l'individu tombe malade. Tout déséquilibre psychologique retentit sur le système endocrinien et végétatif.

Carl Simonton, l'auteur de « Guérir envers et contre tout » explique que la maladie implique souffrance et angoisse mais elle résout aussi des problèmes dans la vie des gens. Elle agit comme un « faciliteur », un donneur de permission, en permettant aux individus des comportements qu'ils ne s'autoriseraient pas normalement.
En étant malade, nous pensons recevoir plus d'amour, d'attention, de repos, la demande d'autrui s'en trouvant diminuée. La maladie lève la censure, suspend un certain nombre d'attitudes. « Tomber » malade devient alors le seul moyen acceptable pour quitter nos responsabilités et s'occuper de soi sans culpabilité. La maladie doit-elle être obligatoirement le prix à payer pour obtenir le droit de souffler ?

Selon le philosophe David Bakar, la maladie peut être conçue comme la manifestation d'un désordre plus profond qu'un trouble intérieur mettant en jeu l'individu dans sa globalité. Selon lui, la maladie est révélatrice d'une scission, d'une aliénation à l'intérieur de l'individu. Cette idée fait écho à la sagesse antique selon laquelle la maladie est signe de disharmonie entre corps et esprit.

Les maux du corps viennent dire tout haut ce que nous pensons tout bas. Ce corps, qui fait écho par ses manifestations à une insatisfaction profonde, nous oblige à prendre conscience de nos limites. Faut-il que le corps souffre pour qu'il se mette à parler ?

Lorsque l'on amène un patient à prendre conscience de son corps, il arrive peu à peu à réaliser comment il a réprimé ses émotions afin de se soustraire à la douleur. Il apprend à verrouiller sa mâchoire, à serrer son ventre pour contenir sa peur, à contracter sa colonne pour prévenir toute attaque. Quand une personne prend conscience de son corps, elle arrive à le libérer de ses tensions musculaires.

L'écoute du corps

Cette écoute du corps est le point de départ de toute thérapie à médiation corporelle. Elle permet le rétablissement d'un dialogue avec soi. Etre en contact avec son corps signifie avoir conscience de son corps, en percevoir ses manifestations, sentir son degré de réceptivité, savoir localiser ses noeuds de tension.
Apprenons à écouter les messages de notre corps. La maladie peut offrir l'occasion d'une remise en question, une transformation positive ; elle indique que quelque chose bouge. A chacun de découvrir le soi intériorisé.

Pour sonder notre corps, il nous faut apprendre à ouvrir les canaux de communication entre notre conscience et notre corps. En prenant davantage soin de celui-ci, nous apprendrons à reconnaître les signes de tension, de fatigue et à ressentir les subtils degrés de changement. Prendre conscience de sa corporéité, c'est prendre, régulièrement le temps d'un rendez-vous avec soi, à travers simplement une petite pause pour respirer, se détendre, se relaxer, méditer. C'est en portant un intérêt quotidien à notre bien-être que nous retrouverons cet équilibre, le but ultime consistant à vivre en harmonie avec tous les aspects de nous-mêmes pour nous ouvrir aux autres...


*Par Michèle Freud, psychothérapeute, directrice de Michèle Freud Formations
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