Interview de Savério Tomasella*


La folie cachée : comment la repérer, comment s’en protéger ?

Dans son dernier livre, mélangeant les cas cliniques et des exemples pris dans le cinéma, le psychanalyste Saverio Tomasella donne des pistes pour parvenir à repérer les relations ou les situations « folles » et à s’en dégager.

Ne sommes-nous pas en train de voir des fous ou des pervers partout ?
La tentation est grande de vouloir faire porter le chapeau à l’autre pour se dédouaner de notre mal-être. C’est comme si nous ne pouvions plus décrypter nos malaises dans la relation qu’à travers le seul prisme de la manipulation. Même si la perversion existe bien-sûr, la folie cachée est plus fréquente et englobe une palette bien plus large. Cette banalisation de la perversion est venue poser un voile sur de nombreux troubles de la relation…

Comment les identifier ?
C’est extrêmement difficile, il serait malhonnête de prétendre le contraire. Il n’existe pas de typologie franche, c’est pourquoi je préfère parler de situations ou de relations folles. La personne qui cache sa folie fait tout pour être considérée comme « normale ». Elle refuse de voir qu’elle ne va pas bien : les problèmes ne peuvent donc venir que des autres…

N’existent-ils pas tout de même certains critères qui doivent nous alerter ?
Le plus important est de délaisser les discours, pour s’en tenir à ses perceptions. Face à la folie d’une personne, nous n’avons pas les mêmes sensations en sa présence et lorsqu’elle n’est pas là. C’est en écoutant ces sensations que l’on peut se rendre compte que quelque chose ne va pas.

Comment se manifestent-elles ?

Il existe des émotions primaires et des émotions secondaires. Les premières sont liées aux sensations corporelles, elles ne sont pas élaborées. Ce sont les impressions d’étouffement, d’oppression, de chaleur, de froid qui se déclenchent en présence de la personne. Comme il s’agit de sensations fugaces, nous avons tôt fait de les balayer alors qu’elles nous livrent des informations capitales. Les secondes recouvrent des émotions plus complexes, telles que la honte, la colère ou la tristesse qui, sans raison apparente, nous envahissent elles-aussi.

Que faire une fois ces troubles repérés ?
Parvenir à mettre des mots sur le malaise signifie que nous avons retrouvé notre discernement, c’est déjà un grand pas en avant ! On peut en parler autour de soi pour confirmer nos perceptions. Il est très difficile d’arriver à nous extirper du tourbillon dans lequel nous plonge la folie de l’autre, nous n’arrivons plus à nous poser les bonnes questions.

Quelles sont les bonnes questions à se poser ?
Pourquoi ai-je tout le temps l’impression de mal faire ou bien de ne jamais en faire assez ? Est-ce que ce que je vis me convient ? Est-ce qu’il y a certaines choses que je ne peux plus accepter ? Le déclic a souvent lieu lors d’un éloignement ponctuel - voyage, vacances - où l’on se rend compte qu’on respire à nouveau et, a contrario, que ce que l’on vit au quotidien est insupportable. Cette prise de conscience prend beaucoup de temps, d’autant que la folie cachée est souvent partagée, ce qui rend la situation encore plus complexe…

Qu’entendez-vous par folie partagée ?
Pour qu’une personne en tyrannise une autre, il faut que celle-ci accepte de se laisser tyranniser. Elle s’est habituée à cette situation délétère qui devient son quotidien. Si elle n’a connu que ce genre de relation pendant son enfance, elle va avoir du mal à repérer ce comportement insensé, ou bien elle lui cherchera des justifications.

Comment sortir de cette impasse ?
En restant à l’écoute de son mal être, mais aussi à ce qu’en dit l’entourage. C’est souvent un proche qui s’inquiète et interroge : mais comment fais-tu pour supporter tout ça ? Un tel propos tire la sonnette d’alarme, à condition qu’il vienne d’une personne bienveillante.

Une fois cette prise de conscience faite, quelle conduite adopter ?
Parfois, seule la fuite semble raisonnable, mais elle n’est pas toujours possible. Vivre répétitivement la folie est épuisant. Il est important de s’accorder du temps pour s’occuper de soi, faire du sport ou une activité artistique, se ressourcer, méditer, rencontrer des amis de confiance. Il s’agit de se recentrer, car la folie happe hors de soi. 

Certains n’osent pas partir…
Ils pensent faire leur devoir, se sacrifient en restant, attitude héritée de leur passé. Or pitié et obligation sont mauvaises conseillères ! Ou bien, ils se pensent capables de sauver de la folie cette personne, mais c’est un leurre. Il faut savoir passer la main à des professionnels.

 Ne faut-il pas aussi se faire aider pour soi ?
Oui. C’est important d’essayer de comprendre pour quels motifs, souvent inconscients, la personne a accepté de vivre cette expérience humaine douloureuse. Elle ne pourra pas faire l’économie de cette interrogation, au risque de recommencer une relation avec une personne néfaste pour elle…

 

*Savério Tomasella est psychanalyste et anime une formation sur l'hypersensibilité au sein de notre Ecole :
http://www.michelefreud.com/formation-complementaire-hypersensibilite.html

Pour aller plus loin : La folie cachée, survivre auprès d’une personne invivable, Albin Michel, 2014

 

Tous droits de reproduction soumis à autorisation de l'auteur.
 LES AGRÉMENTS ET RÉFÉRENCES
Notre école est affiliée
et reconnue par les instances
officielles de sophrologie
Il nous ont fait confiance : C.H.U. d’Avignon, Centre hospitalier de Toulon, Centre hospitalier de Manosque, Ministère de la Défense, L’oréal Garnier, Medicalorama, Arte, France 2, France 3, BFM TV, M6...
> Lire la suite